Le pouvoir invisible : pourquoi les câbles sous-marins sont vitaux pour la France

La rédaction
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À biens des égards, les câbles sous-marins sont vitaux pour la France. Je vous propose une immersion dans ce monde très peu connu.

Quand on pense à la puissance d’un pays, on imagine souvent des porte-avions, des centrales nucléaires ou des satellites. Rarement, on pense aux câbles sous-marins au fond des mers et des océans. Pourtant, ce sont eux qui portent notre monde moderne. Ils transmettent nos appels, nos emails, nos données bancaires, nos échanges scientifiques, nos séries en streaming et même nos décisions politiques. En somme, ils transportent notre civilisation numérique.

La France, avec ses milliers de kilomètres de côtes et son immense espace maritime, se trouve au cœur de cet univers invisible. Comprendre leur importance, c’est comprendre comment un pays peut exister dans le monde d’aujourd’hui, connecté, souverain et tourné vers l’avenir.

Un monde suspendu à des fils d’acier et de verre

Je me souviens de la première fois où j’ai vu une carte mondiale des câbles sous-marins : un enchevêtrement fascinant, comme un système sanguin planétaire. Des lignes reliant les continents, dessinant des routes de lumière au fond des mers. Et au centre de ce réseau, l’Europe. Sur ses côtes sud et de l’ouest, la France, un véritable nœud vital de la connectivité mondiale.

Plus de 99 % du trafic mondial d’Internet passe par ces câbles. Cela signifie que nos communications ne volent pas dans les airs : elles passent sous les océans, par des fibres optiques plus fines qu’un cheveu, mais capables de transporter des téraoctets de données à la vitesse de la lumière. Parmi ces lignes, certaines aboutissent directement sur nos plages : à Marseille, à Penmarc’h, à La Seyne-sur-Mer ou encore sur les côtes vendéennes.

Marseille, surtout, est devenue un symbole. Ce port méditerranéen, longtemps associé au commerce maritime, s’est transformé en plaque tournante du numérique mondial. Les grands câbles qui relient l’Asie, le Moyen-Orient et l’Afrique à l’Europe y atterrissent. C’est là que les flux du monde passent, dans un silence quasi total.

Sous les océans, la souveraineté numérique

Ce silence cache une tension : celle entre dépendance et puissance. Pendant longtemps, la France, et plus largement l’Europe, s’est reposée sur des infrastructures financées et contrôlées par des géants étrangers. Google, Meta, Amazon, qui sont considérés par beaucoup comme les maîtres de la donnée personnelle, investissent dans leurs propres câbles, reliant directement leurs serveurs de continent en continent. Ces réseaux privés contournent parfois les infrastructures publiques et redessinent les routes de l’Internet mondial selon les intérêts des entreprises, non des États.

C’est là que la question de la souveraineté se pose. Peut-on encore parler d’indépendance numérique si nos flux passent par des câbles appartenant à d’autres puissances ? Si un simple sabotage, un tremblement de terre ou une tension géopolitique peut couper nos échanges ?

La France, heureusement, a pris conscience de cet enjeu. L’État a racheté Alcatel Submarine Networks (ASN), le dernier grand constructeur européen de câbles, pour éviter de dépendre totalement de l’étranger. C’est un geste fort, presque symbolique qui consiste à reprendre la main sur ce qui fonde notre connectivité mondiale. C’est aussi une manière de dire que la maîtrise des fonds marins fait désormais partie de notre sécurité nationale, au même titre que l’espace ou le cyberespace.

Les câbles sous-marins, cibles invisibles dans les guerres modernes

Dans le monde actuel, les conflits ne se déroulent plus seulement sur la terre ferme. Ils se jouent aussi dans les profondeurs. On en parle peu, mais les câbles sous-marins sont devenus des cibles potentielles.

  • Un câble sectionné entre deux continents, et c’est une région entière qui peut être isolée numériquement ;
  • Un câble espionné, et ce sont des milliards de données sensibles qui peuvent être interceptées ;
  • Un câble endommagé, et les transactions financières ou les communications militaires peuvent être ralenties ou détournées.

Les marines modernes, dont la Marine nationale française, doivent dorénavant protéger ces infrastructures comme des routes stratégiques. Des missions de surveillance des fonds marins se développent, et la France, avec sa flotte câblière, fait partie des pays les mieux équipés pour intervenir.

Dans un monde où l’information vaut autant que l’énergie, protéger les câbles, c’est protéger la liberté.

Une puissance maritime à reconquérir

La France a un avantage que beaucoup sous-estiment : la mer. Avec le deuxième espace maritime mondial, réparti sur tous les océans grâce à ses territoires d’outre-mer, elle est une puissance maritime globale. Cette position offre un réseau exceptionnel d’atterrages possibles pour les câbles sous-marins.

Les câbles ne sont pas que des tuyaux de données : ce sont des instruments de diplomatie, de coopération et d’influence. Avoir un câble qui relie la France à l’Afrique, c’est aussi tisser un lien politique et culturel. C’est offrir une route numérique stable à des partenaires francophones, tout en affirmant la place de la France dans la gouvernance mondiale de l’Internet.

C’est là que se joue une nouvelle géopolitique de la mer : non plus pour le pétrole ou les routes commerciales, mais pour le flux invisible de l’information.

Les câbles de l’avenir : énergie, écologie et souveraineté

Et si les câbles sous-marins n’étaient pas seulement les artères du numérique, mais aussi celles de l’énergie de demain ?

La France investit massivement dans les câbles électriques sous-marins, destinés à relier les parcs éoliens offshore au continent ou à interconnecter les réseaux européens. Ces lignes d’énergie, comme les câbles de données, dessinent une nouvelle carte du pouvoir.

Elles symbolisent la transition vers un modèle énergétique plus propre, mais aussi plus interdépendant. Dans ce domaine aussi, la souveraineté compte. Fabriquer nos propres câbles, former nos ingénieurs, surveiller nos fonds marins participe à une même ambition, celle d’une France capable de maîtriser ses flux vitaux, qu’ils soient numériques ou électriques.

Ce que les câbles disent de nous

Les câbles sous-marins racontent une histoire paradoxale, celle d’une humanité ultra-connectée, mais dépendante d’infrastructures fragiles.

Ils sont le symbole de notre monde à la fois technologique et vulnérable, global et profondément physique.

Sous les mers et les océans, il n’y a pas que du sable et des coraux. Il y a les artères de nos vies modernes, les routes de nos échanges, la mémoire de nos sociétés. Au cœur de ce réseau silencieux, la France a un rôle unique à jouer : celui d’une puissance des profondeurs, consciente que la souveraineté du XXIᵉ siècle ne se joue pas seulement dans le ciel ou le cyberespace, mais aussi au fond des mers.

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